Nyx était venue se recueillir devant l'Autel de sa déesse, comme chaque jour. Elle profitait de ce moment de calme, où personne ne la dérangeait, pour prier Erion mais également réfléchir, beaucoup, longtemps, comme apaisée par la quiétude du lieu et certaine de faire les bons choix. Elle craignait encore de se tromper ou de faire un faux pas, mais avec le temps, elle avait gagné la confiance des Nordistes et elle avait pris de l'assurance.
Ouvrant enfin les yeux après une dernière prière à la déesse, elle était restée un moment immobile et silencieuse, contemplant la statue: Erion y apparaissait, couchée sur une sphère qui représentait la Lune et entre ses antérieurs une plus petite sphère, la deuxième lune qu'elle avait créé. Parfois, Nyx se demandait ce qui avait poussé le Panthéon à mener une telle guerre et pourquoi est-ce que Tobas, le Dieu du Sud, avait tenté de la faire disparaître. Erion avait été une victime, à n'en pas douter.
Elle avait finalement utilisé la télékinésie pour poser quelques offrandes sous la statue avant de tourner la tête: un bruit sur le côté l'avait interpellé et elle avait vu une jeune jument qu'elle n'avait encore jamais croisé. Il ne pouvait s'agir d'un Vagabond: aucun d'eux, sauf un colosse terrifiant, ne s'approchait jamais des lieux de Culte. Il n'y avait aucune raison de se montrer agressive.
"Bonjour. Je suis Nyx, la Dominante de l'île Nord. Qui êtes-vous et que faites-vous en mes terres ?"
Peut-être un nouveau messager ? Ou un envoyé de Nahan ?
La jument avait fait choir son livre, surprise, et Nyx s'était sentie mal à l'aise le temps d'un instant de l'avoir pris au dépourvu. Elle n'avait pas eu le temps d'ajouter quoi que ce soit que l'inconnue se baissait jusqu'au sol dans une révérence des plus gracieuses.
"Veuillez recevoir mes plus plates excuses, Dame Nyx. Je me nomme Ourse et je poursuis mon apprentissage de chamane au service du Demi-Dieu Nahan et de la Déesse Nythül. Je me suis rendue en ces lieux afin de recueillir des signes de la Déesse Lune, Erion, si cette dernière désire me faire l'honneur de m'en envoyer... Ma volonté était bien sûr de vous informer de ma présence dans les plus brefs délais."
Ainsi il s'agissait de la nouvelle apprentie des Chamans ! Nyx ne l'avait encore jamais rencontrée. À son tour, la Dominante s'était inclinée devant elle, ses longs crins tombant en cascade sur le sol.
"J'avais eu vent de votre présence sur l'île de Nahan. Votre présence sur mes terres m'honore, Ourse. Soyez la bienvenue et soyez libre de vous déplacer où bon vous semble sur mon Île."
La Nordiste voyait une bénédiction en la venue des Chamans. Créés par Nythül elle-même, ils étaient signes de chance et de prospérité. Néanmoins, la venue d'Ourse l'intriguait.
"Je venais de terminer mes prières. Notre Déesse n'est pas la plus bavarde du Panthéon, vous savez. Elle est discrète et solitaire, à l'image de la Nuit dont Elle est la gardienne. Elle se fait souvent silencieuse mais Elle ne néglige pour autant pas son peuple." Nyx savait ô combien il était rare d'apercevoir la Déesse sur l'Archipel. Après une courte pause, elle avait ajouté: "Mais si vous souhaitez la voir, vous aurez plus de chance en vous rendant dans Sa plaine. Elle apparaît là-bas."
Avec un sourire, elle avait usé de sa propre télékinésie pour soulever le grimoire de la Chaman, le lui donnant sans chercher à y jeter un regard: ces livres étaient sacrés. Il y avait beaucoup de textes anciens et d'écrits sur l'histoire de l'Archipel. Elle ne se serait jamais permise de le prendre.
"Tenez et excusez moi pour la frayeur que je vous ai causée."
Elle se demandait ce qui avait poussé un Chaman aussi jeune à quitter les terres divines de Nahan pour l'hostilité franche du Nord. Mais elle lui poserait cette question un peu plus tard: n'était-ce après tout pas signe de paix et de joie que de voir un Chaman fouler ses terres ?
Elle avait quitté l’Île Divine, celle que le bon et noble Nahan avait créé pour les accueillir, eux, les élus des divinités, oracles et chamans. Mais qu’en restait-il ? Le néant. Les Oracles avaient, en quasi intégralité, été décimé, et c’était leurs cadavres que les Chamans avaient du inhumer.
Ourse, elle, avait assisté à la scène, impuissante. Que pouvait-elle y faire, elle, pauvre apprentie, là où tous les autres chamans, les plus sages, les plus côtés, avaient échoué ? Elle n’y comprenait rien.
Et lorsqu’elle y pensait, qu’elle y réfléchissait et essayait de mettre en ordre ses idées, elle était saisie d’un effroi soudain. Plus que le danger qui pesait sur sa propre vie, elle craignait avant tout pour l’avenir. Un avenir sans oracles.
Ils étaient morts. Morts sans qu’aucun d’entre eux puisse y faire quelque chose. Et plus elle y songeait, plus elle était amenée à penser que ces morts ne pouvaient avoir qu’une origine divine, pour que les chamans restent impuissants face à la situation, ne sachent même pas reconnaître l’origine de cette maladie qui les avait terrassé. Il ne pouvait en être autrement, pourtant Ourse n’avait osé émettre l’hypothèse à voix haute et surtout pas devant Nahan. Elle avait confiance en ses divinités, eux, toujours bienveillants et emplis de bonté. Mais… et si ils ne souhaitaient plus communiquer avec eux ? Et si ils ne souhaitaient n’avoir plus aucuns passerelle, aucun lien vers le monde des vivants. Cette idée même lui faisait froid dans le dos : elle ne pouvait s’imaginer une existence sans ces liens et cet amour qui la liaient à Nythül et Amor.
Alors, l’apprentie chamane avait été éloignée de tout ça. Son maître l’avait envoyé en reconnaissance, mettant en avant sa sensibilité afin de trouver des explications, de cueillir des signes de leurs Dieux. Elle était partie seule, pour la première fois depuis le début de son apprentissage. Mais elle savait qu’elle ne partait pas en terrain inconnu, Nythül veillait sur elle, elle sentait sa présence bienveillante dans la nature qui l’entourait. Les voyages faisaient parti inhérente de son apprentissage, et il était important pour elle d’apprendre à être à l’écoute de ses sens, seule, de se faire sa propre opinion, ses propres déductions, sans influence extérieure.
Elle y arriverait. Elle devait y arriver, elle n’avait pas le droit à l’erreur.
La jument avait alors longtemps réfléchi à sa première destination, posant ses idées à l’écrit dans un carnet qu’elle gardait toujours près d’elle, dans cette petite sacoche offerte par Nythül. L’Île du Nord s’était rapidement imposé comme une évidence : elle restait proche de l’île divine, au besoin, et elle espérait qu’Erion ait des informations au sujet des événements récents, et qu’elle éclaire sa route de la lumière de sa lune.
Ses pas l’avaient donc mené jusqu’ici, sur les terres de la Déesse de la Lune. Et machinalement, avant toute chose, la jument avait souhaité rejoindre son autel afin de s’y présenter, et demander l’autorisation de fouler ses terres.
Sur le chemin, elle avait ouvert un vieux livre qu’elle avait emporté pour l’occasion, retraçant les annales sur les différents dieux. Bien qu’elle le connaissait presque par cœur, à force de l’avoir lu, elle préférait y jeter un coup d’œil, de temps à autre, des fois que quelque chose lui aurait échappé.
En marchant, elle s’était donc servi de la télékinésie pour l’ouvrir au chapitre sur Erion, le lisant avec attention, sans trop regarder où elle mettait les pattes.
« Bonjour. »
« - Iiiih !! » La voix la fit sursauter, si bien qu’elle en perdit toute sa concentration et oublia de maintenir sa télékinésie active. Son livre vint s’échouer au sol dans un bruit sourd.
Et alors qu’elle relevait la tête pour apercevoir son interlocutrice, elle la baissa aussitôt lorsqu’elle se présenta.
« Je suis Nyx, la Dominante de l'île Nord. Qui êtes-vous et que faites-vous en mes terres ? »
Le front d’Ourse vint embrasser le sol, tandis qu’elle fléchissait l’un de ses membres antérieur, tendant l’autre dans une révérence distinguée. Et aussitôt, elle présenta ses excuses.
« Veuillez recevoir mes plus plates excuses, Dame Nyx. Je me nomme Ourse et je poursuis mon apprentissage de chamane au service du Demi-Dieu Nahan et de la Déesse Nythül. Je me suis rendue en ces lieux afin de recueillir des signes de la Déesse Lune, Erion, si cette dernière désire me faire l'honneur de m'en envoyer... » Elle marqua une courte pause, ne quittant pas sa position. « Ma volonté était bien sûr de vous informer de ma présence dans les plus brefs délais. »